samedi 26 mars 2016

Pyramide sociale et empreinte écologique

La manière dont "Notre empreinte écologique" (Mathis. Wackernagel et William. Rees, éditions écosociété, Montréal), traite des questions de population et a fortiori de surpopulation est significative de la mesure dans laquelle la démographie peut être reléguée à l'arrière plan de l'économique et du social par bon nombre de scientifiques et d'intellectuels. Bréviaire de la décroissance économique, la simple notion de pyramide sociale y est bien entendu superbement ignorée, d'où un livre de plus – pourtant aussi argumenté que savant – écrit sur le futur de l'humanité, sans référence sérieuse au premier des ingrédients de la condition humaine.


Reconnue comme facteur parmi d'autres de l'empreinte écologique, la population humaine y est évoquée avec une telle discrétion qu'il est évident que là encore le tabou touchant ce sujet sévit. Au nom de la compassion portée aux plus défavorisés, préséance est accordée au social, au point qu'aussi louable et fondée qu'elle soit, cette compassion porte les auteurs à exclure de leur réflexion ce qui est considéré ici comme la cause première et fondamentale de l'empreinte écologique humaine, avec pour résultat de porter au niveau des nations une lutte des classes attisée autant que mondialisée, et surtout de faire oublier ce que cette empreinte doit à la conjugaison désastreuse d'une croissance anarchique, tant économique que démographique.


Si les recommandations des auteurs aux terriens, les engageant à modérer leur prédation, s'adressent en bonne logique d'abord à ceux qui consomment le plus, les mettre en accusation de façon aussi sommaire renvoie à l'idée fausse que la situation se réduirait à une différence de comportement entre riches et pauvres, qu'il s'agisse d'individus ou de nations. Or l'empreinte écologique est le fait de tous. Elle s'est constituée au cours du temps partout et à tous les niveaux, avec l'aide d'un progrès qui s'étend à l'ensemble de la société. Et si l'empreinte des pauvres est plus faible que celle des riches, c'est précisément parce qu'ils sont pauvres, dont légitimement désireux de l'être moins, avec pour perspective d'augmenter en conséquence leur propre empreinte. Dans les régions les plus reculées de la planète, l'homme sait ou finit d'apprendre ce qu'est le moteur à explosion, la voiture, l'électricité, la télévision, le téléphone, etc. Même s'il reste beaucoup à faire, il est généralement mieux nourri, habillé, abrité qu'il ne l'a jamais été, et accède chaque jour un peu plus à ce qui améliore sa condition, au moins matérielle. Pour cette raison, c'est l'empreinte écologique moyenne qui augmente, celle des pauvres tendant vers celle des riches, même si l'enrichissement général de la société distend les écarts entre les uns et les autres.


Faut-il rappeler que la croissance démographique – 280 000 individus s'ajoutent quotidiennement à la population humaine de la planète – a pour effet d'accroître plus fortement le nombre des plus défavorisés que celui des riches et que sur 1 000 terriens supplémentaires, 700 vont augmenter le nombre des pauvres, 273 celui des représentants des classes moyennes et 27 celui des riches ? C'est dans ces conditions qu'à l'horizon 2100 ce ne sera plus les ressources d'une planète et demie qui seront nécessaires à l'humanité mais celles de 2 planètes.

Dans une telle situation, s' il doit être exigé davantage des plus favorisés, nul ne peut pour autant être exonéré de sa part de responsabilité, aussi faible soit-elle, au motif que d'autres en portent une part plus grande, et c'est une grave erreur que de donner à penser qu'il puisse en être autrement. Il faut laisser aux idéalistes le soin de traiter au mieux une iniquité proportionnelle à la richesse de la société et au nombre de ceux qui se la partagent, sachant qu'elle est d'abord due à notre structure sociale en ce qu'elle a de plus ancré. Il est grand temps d'aborder avec pragmatisme l'avenir tel qu'il se présente. S'il est éminemment regrettable que des abus aient été commis, il importe que soient sanctionnés ceux qui se commettent encore, mais l'heure n'est pas à la repentance, aussi fondée puisse-t-elle être, et encore moins à une expiation quasi mystique par la décroissance. Renoncer au progrès c'est se montrer incapable de le maîtriser et de punir ses abus en niant ses bienfaits ; c'est se tourner vers le passé quand il est requis, dans la plus grande urgence, que les efforts de tous soient tournés vers l'avenir pour en tirer le meilleur.


Il n'est pas question de contester ici l'utilité de l'empreinte écologique en tant qu'instrument de diagnostic et de sensibilisation aux excès de prédation de l'humanité, ni de nier que les plus riches en soient les premiers responsables, et encore moins de contester le droit que ce concept a acquis de s'ajouter à ceux qui inspirent déjà les chercheurs et experts, mais d'attirer l'attention sur le fait que pendant qu'ils en fouillent les détails et les retournent en tous sens, la population ne cesse de croître à un rythme jamais atteint, dans la quasi indifférence générale. Raison suffisante pour paraphraser William Rees clôturant la préface de ce livre, pour proclamer : « Regarder en face [sereinement], tous ensemble, la réalité du dépassement écologique démographique nous forcera à découvrir et mettre en pratique ces qualités uniques qui distinguent le genre humain des autres espèces sensibles pour nous réaliser pleinement comme êtres humains. En ce sens, la changement écologique démographique mondial est la dernière grande occasion de prouver que la vie intelligente existe réellement sur la Terre. »


Une démographie voulue et non subie est la condition première et incontournable du rééquilibrage de notre empreinte écologique, aussi bien par tête que globale, et toute démarche visant à harmoniser cette empreinte avec les capacités de portage de la planète, sans ajustement de notre population – indépendamment des inégalités sociales qui puissent y régner –, est d'avance condamnée à l'échec par le nombre.

« J'affirme que planifier notre a­venir devrait consister à diminuer la population mondiale.» Abraham Maslow in "Être humain" (Eyrolles, 2013).