vendredi 22 juin 2018

Genèse et pyramide sociale

Comment le monothéisme a-t-il pu porter l'homme à prétendre remédier à l'injustice sociale par la compassion, en négligeant les aspects fondamentaux et irrémédiables de sa condition ? Les processus de construction des pyramides – égyptiennes entre autres – ont en tous cas probablement été beaucoup moins importants à connaître, pour le bonheur sur Terre, que la conception qu’avaient des fondamentaux de la condition humaine qui ont pu les inspirer, tous ceux qui les ont édifiées.

Faire de la pyramide une représentation schématique de la société, relève pour certains de la fantaisie et nombreux sont ceux qui en rejettent la seule idée, parce que contraire à celle que l’homme se fait de lui-même et à son idéal d’égalité, voire d’égalitarisme. Pourtant, rien de plus exact que les niveaux de plus en plus peuplés de la pyramide sociale, depuis son sommet jusqu’à sa base ; que les différences et superpositions qu’exprime cet empilement, comme autant de ces suprématies et subordinations, naturelles ou non, qui suscitent tant de peurs, de frustrations et de ressentiment ; que les relations d’interdépendance qui s’y établissent ; que les inégalités de richesse matérielle et immatérielle qui y règnent et s'y développent ; que ces pouvoirs que confèrent le savoir, l’intelligence et tant d’autres facultés qui sont autant de richesses inégalement partagées. Pour échapper à la pyramide, bien des experts en sciences dites humaines ne proposent-ils pas la toupie, le “diabolo” ou le sablier, faits d’un ou deux cônes plus ou moins déformés, opposés par leurs bases ou par leurs sommets, ou encore la sphère, quand ce n’est pas le camembert, le donut, la nébuleuse et autres savantes figures. Au degré de précision près et abstraction faite des indices et autres paramètres expliquant le tarabiscotage de telles représentations, c’est oublier que pour l’usage qui en est fait, ces représentations se ramènent toutes à un polyèdre représentatif d'un contenu quantifiable, dont la distribution va de l’unité, positionnée en son sommet, au nombre le plus élevé occupant sa base.

L’économie d’une polémique peut donc être faite, et la pyramide être d’autant plus opportunément employée, qu’au-delà de sa segmentation en niveaux hiérarchiques elle affiche ceux-ci dans leur rapport avec la démographie, dès lors que son volume est conventionnellement admis comme représentatif de la population totale qui l’habite.

Ceci n’est certes pas sans risquer ajouter l’occulte à l’extravagant, spécialement pour ceux qui prétextant de la manie qu’inspire l'égyptomanie, pourront esquiver la remise en cause de leur propre vision de la société. Mais n’est-ce pas précisément l’occasion de s’arrêter un instant sur la relation pouvant exister entre la pyramide antique et son usage en tant que représentation de la société ? En tout état de cause, est-il possible de faire sérieusement référence à la pyramide – quelle que soit la figuration à laquelle elle prétende – sans évoquer la part de mystère qui y est attachée depuis la découverte et l’exploration des premières d’entre elles ? Voici en tout cas implicitement posées quelques questions subsidiaires.

Alors que l’esprit de leurs constructeurs n’était pas encore influencé par le progrès ni asphyxié par des savoirs tellement abondants et diversifiés que nul ne s’aventurerait plus à tenter d’en faire la synthèse ; quand nous en sommes réduits à constater qu’en dépit de tant de connaissances accumulées nous n’en savons pas davantage qu’eux à propos du jeu de la vie dont nous avons la fatuité de nous croire des pions privilégiés ; pourquoi se sont-ils aussi universellement attachés à ce volume plutôt qu’à un autre ? Au-delà de la simple continuation d’une pratique architecturale remontant à la plus lointaine préhistoire, telle que pouvant résulter de l’édification d’un amas de terre et de pierres, ou de la construction d’une hutte de branchages revêtus de feuillages ou de  peaux, quelles considérations ont pu guider leur choix parmi les autres formes possibles dont témoignent tant de construction édifiées par l'être humain ? Pour quelles raisons les témoignages de ce choix nous sont-ils parvenus aussi nombreux et d’endroits si divers ? Quelle relation immatérielle pourrait exister entre la vision qu’ont pu avoir de la pyramide nos lointains ancêtres, et une humanité dont la condition et l’organisation, fondamentalement inchangées depuis la nuit des temps, s’y inscrivent avec autant d’évidence ?

Autant de questions ne peuvent qu’encourager un supplément de réflexion prenant en compte quelques données appartenant tout simplement à l’histoire de la vie, ramenée à celle des hommes. Si les enseignements susceptibles d’en être tirés peuvent paraître vains, qui niera les attraits du mystère ? Et puis, quels sont les moyens restant à l’ignorant pour exercer sa curiosité, sinon cette imagination qu’il lui arrive de se voir reprocher par ceux qui ne voient que par la religion ou la science ? Doit-il se priver de l’employer ? Doit-il refuser de s’y laisser aller ne serait-ce qu’un instant ? Est-il condamné à subir la toute puissance de démonstrations réputées savantes auxquelles il arrive aussi d’être contraintes à la remise en cause ?

C’est en tout cas se référer à un fait connu que de rappeler qu’en de nombreux endroits du monde existent des tertres et des cairns plus ou moins érodés, vestiges de constructions résultant de l’empilement de terre et de pierres et dont l’intérieur est parfois aménagé. En France, et plus précisément en Bretagne, le grand tumulus de Carnac et une trentaine d’autres, datant de 4500 ans environ avant notre ère, indiquent que parmi les premières constructions monumentales à avoir été édifiées par Homo sapiens, figurent celles faites de ces empilements rudimentaires. Si certains y voient l’origine de toutes constructions de forme pyramidale, ils doivent savoir que des pyramides – qui ne sont pas seulement égyptiennes – sont antérieures aux tumulus les plus anciens que nous connaissions. Il paraît donc peu probable que la pyramide soit simplement une sorte de perfectionnement de ces amas coniques de matériaux et la question reste entière. Qu’elle ait été ou non d’abord naturellement conique, à la manière de n’importe quel tas de terre ou de cailloux, pourquoi la pyramide ? Sont-ce les limites des moyens techniques dont ils disposaient qui ont amené les constructeurs des premières d’entre elles à adopter une forme si caractéristique ? La tentation est grande d’opter pour cette hypothèse, mais les édificateurs des grandes pyramides, notamment d’Égypte, se sont montrés capables d’autres prouesses architecturales et techniques. Les spécialistes nous diraient peut-être s’il existe d’autres raisons, mais il est suffisant ici de retenir que la pyramide est apparue sous toutes les latitudes aux époques les plus reculées.

Leur notoriété renvoie d’abord aux égyptiennes, qui sont incontestablement les plus connues. Parmi celles dont l’existence est prouvée, bien que certaines n’aient pas encore été explorées, plusieurs dizaines ont été et sont toujours étudiées, alors qu’une centaine, restant à tirer de l’oubli, a été localisée entre les sources et le delta du Nil, aux confins de ces régions réputées être le berceau de l’humanité. Mais de nombreuses constructions pyramidales sont présentes ailleurs dans le monde. En Afrique toujours, avec les pyramides de Méroé ; en Amérique centrale comme en Amérique du Sud, du Mexique au Pérou, où elles ont été découvertes avec le continent et les civilisations qui le peuplèrent avant l’arrivée des Européens. D’autres encore ont été recensées : en Europe ; comme à Visoko en Bosnie. En Chine, où il en existe de plus nombreuses, plus monumentales, plus riches et aussi anciennes que celles d’Égypte, qui témoignent de la puissance et du raffinement de ceux qui les édifièrent. Aucun des continents où ont vécu les civilisations ayant participé de près ou de loin à l’avènement de l’actuelle société mondialisée des hommes n’a échappé à ce qui constitue un phénomène d’ampleur planétaire. La récente découverte, à proximité du cercle arctique, des pyramides de Kalo confirmerait s'il en était besoin l’intérêt qu’a toujours éprouvé et qu'éprouve encore l’homme pour le volume pyramidal (Cf. pyramide du Louvre à Paris). Pourquoi cette forme plutôt qu’une autre ? Que peuvent signifier une telle ancienneté, une telle universalité, un tel attachement ?

L’économie, nom pudiquement jeté comme un voile sur un ensemble de pratiques, par ceux qu’elles enrichissent, a de tous temps ouvert les chemins d’une exploration qu’ont empruntés, autant pour la soutenir que pour en profiter, les soldats et les porteurs de la bonne parole, profane comme religieuse ou savante. Les sciences humaines balbutiantes, qui participaient ainsi à la démarche, ont vite été débordées par un appétit matérialiste soutenu par les sciences dites exactes et cette révolution industrielle dont nous connaissons aujourd’hui le flamboiement pour le meilleur et pour le pire. Cet appétit pouvant être précisément la cause d’un déficit d’humanisme, la perte définitive des repères élémentaires dont ont usés nos ancêtres ne peut-elle pas lui être imputée ? Il est en tout cas permis de s’interroger sur le fait que la sociologie, la démographie, l’économie, la politique … mises ici en relation avec la pyramide sociale, en tant qu’héritières de cet humanisme exercé à une époque où l’homme était un individu encore respecté par le nombre, s’exercent encore au nom de cet humanisme. La pyramide, qui symbolise l’organisation dont traitent ces disciplines – parfois en paraissant ne pas s’en rendre compte – ne fut-elle pas considérée comme telle en d’autres temps, au point qu’à travers elle et l’usage qu’en a si abondamment fait en tant d’endroits une lointaine humanité, nous ait été délivré un message oublié depuis ou que nous serions devenus incapables de déchiffrer et de comprendre ? C’est l’un des objets des mathématiques, et de la géométrie en particulier, que de fractionner, disséquer, analyser, mettre en équations, figures et volumes ; que de raisonner à leur sujet et en tirer des lois permettant d’avancer vers la compréhension en tout. Bien avant que les hommes aient connu les plus élémentaires de ces lois – et pour les découvrir – ils ont donc nécessairement vécu livrés à leurs seules facultés d’observation et à leur intuition, lesquelles les ont conduits à l’astronomie, à la géométrie, à la philosophie, etc. À quel moment de ce long parcours, et à quel titre, la pyramide a-t-elle retenu leur attention ? Et qui a été le premier à s’en préoccuper ? Quoi qu’il en soit, livrée à la rigueur scientifique comme aux supputations les plus hasardeuses, la pyramide semble avoir été de tout temps l’objet d’une considération particulière. Est-ce seulement parce qu’elle a été l’une des premières constructions monumentales de l’homme ?

Ceci suffit-il à expliquer cela ? À supposer qu’un empilement de terre et de pierres ait pu être l’élémentaire façon de construire de tous les hommes, plutôt que d’imaginer que des civilisations aussi éloignées les unes des autres dans le temps que dans l’espace aient pu échanger leurs savoirs de bâtisseurs, est-il interdit de penser qu’ils aient pu accorder à la pyramide, sans se connaître et encore moins se consulter, une signification qui a ensuite évolué, jusqu’à revêtir ces dimensions sépulcrale et sacrée sont celles que nous connaissons le moins mal ? Son ésotérisme ne peut qu’en être avivé et donner lieu à l’échafaudage de théories les plus invraisemblables, mais la simple réflexion peut aussi conduire à une hypothèse plus pragmatique. Sans ôter quoi que ce soit à son caractère universel et outre sa fonction de tombeau réservé aux grands, la pyramide ne peut-elle être considérée sans le mystère, voire la magie que lui prêtent certains ? La coïncidence entre sa forme même et des aspects fondamentaux de l’organisation dans bien des domaines, à commencer par ceux où règne une hiérarchie, naturelle ou non, ne suffit-elle pas à éveiller l’attention ? Est-il contestable que l’organisation humaine puisse être ramenée à la structure pyramidale, avec son sommet et sa base ? Constat d’une simplicité qui décevra un grand nombre d’amateurs de mystère mais qui justement, par une évidence que la superstition a pu nous faire négliger pendant que le temps y ajoutait la banalisation et l’oubli, pourrait avoir conduit d’anciennes civilisations disposant d’un sens de l’observation intact, à attribuer à la pyramide une signification en accord avec cette coïncidence de portée universelle, liée à notre condition d’êtres organisés depuis toujours en sociétés pyramidales – parce que la nature le veut ainsi et que la nature humaine y ajoute – qu’il s’agisse de la famille, du clan, de la tribu, de la nation ou de quelqu'autre organisation que ce soit, dès lors que s’y exercent les pouvoirs de l'interdépendance.

Hormis son caractère sacré, qui semble au demeurant ne pas avoir été le seul lui ayant été conféré, ni honoré de la même façon par les divers peuples en ayant édifié, la pyramide pourrait alors être simplement la représentation de ce concept fondamental, reconnu comme tel par des bâtisseurs n’ayant vécu ni aux mêmes endroits ni aux mêmes époques et n’ayant pu échanger d’informations, sauf hypothèse d’une transmission par des voies et des moyens qu’il nous resterait à découvrir. Si des civilisations précolombiennes ont usé de la pyramide comme outil de représentation de la société telle qu’elles la percevaient, il a pu en être de même à d’autres époques, en d’autres lieux et à des degrés divers, de la part d’autres peuples. La simple observation et le raisonnement des uns et des autres ont pu, de manière parfaitement plausible, les conduire à considérer que bien des phénomènes, à commencer par leur propre organisation, pouvaient être rapportés à la pyramide. Celle-ci aurait ainsi été, à des siècles de distance et au-delà des océans comme des montagnes, le symbole universel et universellement partagé de la condition humaine, par le seul effet d’une évidence qui aurait fini par nous échapper. Entre temps, ce sens aurait pu lentement évoluer en conservant sa dimension sacrée, liée à cette idée de Vérité associée aux croyances successives de l’homme, depuis les divinités spécialisées, hiérarchisées et vivant chacune au sommet de leur propre structure – pyramidale elle aussi – jusqu’au monothéisme s’attaquant à une angoisse universelle, qu’il ne restait plus à ses prophètes qu’à codifier pour tenter de la rendre plus supportable. La pyramide ne lève pas la disgrâce existentielle de l’homme ; elle ne fait au contraire qu’accentuer l’angoisse qu’il peut en éprouver, en représentant avec un réalisme implacable l’univers structuré et clos dont il est à jamais prisonnier, après qu’un sort inexplicable lui ait assigné à sa naissance une place en son sein, ignorant les promesses de compensation dans l’au-delà que sauront lui offrir les nouvelles religions. Pour aborder cet au-delà, seuls les morts ayant le privilège de loger dans la pyramide, après avoir siégé à son sommet de leur vivant, y étaient préparés, par la momification s’opposant à la corruption de leur chair, comme en se munissant de ce qui serait nécessaire à leur survie dans leur nouveau séjour.

Des divinités peuvent avoir coexisté avec la pyramide et elle a pu être le lieu de cultes célébrés en leur nom ainsi que celui d’autres pratiques aussi bien religieuses que profanes, avant de devenir les témoins de secrets enfouis avec elles sous les sables des déserts, aussi bien que sous la végétation la plus luxuriante ou les glaces arctiques. L’apparition puis l’expansion du monothéisme sont-elles pour quelque chose dans le déclin de la pyramide ? Laissons aux historiens le soin de nous renseigner, la réponse n’étant pas nécessaire ici. Mais les grandes religions, à travers le judaïsme pour ce qui est de l’Occident puis du Moyen-Orient, ne peuvent-elles pas s’interpréter comme des réactions envers une malédiction sociale dont la pyramide fut longtemps et partout la représentation et peut-être pour certains la dénonciation ? L’aggravation de l’angoisse en résultant pour l’homme ne pouvait aller sans susciter un besoin de reconnaissance, d’espoir et d’amour dont la Bible – refoulée par une Égypte dominée par la pyramide – portait les germes. Des religions salvatrices, fondées sur la révélation et encouragée par une crédulité, des peurs et une superstition nées bien avant elles, n’auraient-elles pas pu ainsi se substituer à des croyances résultant d’une rationnelle observation de la réalité, telle qu’y engage une vision pyramidale de toute organisation hiérarchisée, naturellement ou non, à commencer par celle de la société humaine ?

L’homme, ébloui par sa foi telle que l’ont sublimée des religions proches les unes des autres et d’ailleurs sur le chemin de l’unification, ainsi que des idéologies laïques visant elles aussi son bonheur par un refus sommaire de la société pyramidale, peut avoir de la sorte oublié d’anciennes croyances, issues non pas de la révélation, mais de la simple observation ? « Tu ne t’éteindras pas, tu ne finiras pas. Ton nom durera auprès des hommes. Ton nom viendra à être auprès des dieux. » Cette assurance de vie éternelle adressée à Pépi 1er (-2289/-2247) et gravée sur les parois de son appartement funéraire, appartient à l’un des plus anciens recueils de textes de l’humanité. Il est probable que ces incantations, qui aidaient le souverain à renaître dans l’au-delà, furent récitées par les prêtres jusqu’à la Ve dynastie égyptienne. Quelles autres incantations les prêtres récitaient-ils, sans que le rôle de tombeau fut ou non dévolu à la pyramide ? Quelle que soit la réponse à cette question, le texte gravé sur les parois de la chambre funéraire de Pépi 1er est du plus grand intérêt dans sa première phrase, laquelle peut s’adresser aussi bien à la pyramide qu’au défunt pharaon. La formule ne pourrait-elle pas être antérieure à la fonction funéraire de l’édifice ? D’éternel à universel il n’y a qu’un pas que les anciens ont pu franchir, concernant le caractère de la pyramide, en partant des observations auxquelles ils avaient pu se livrer, expliquant leur choix architectural. Il n’est pas impossible qu’ils en aient tiré conclusion. Une vision pyramidale applicable à toute organisation hiérarchisée, comme l’a toujours été par nature celle de toutes les espèces, a fort bien pu conduire les premiers penseurs à voir avec réalisme l’humanité condamnée à subir un sort irrévocable. Voici en tout cas ce qui précède de peu et même coïncide avec l’avènement et le succès des grandes religions modernes, promettant à tous la vie éternelle et la compensation de leurs peines telles qu’endurées de leur vivant à l’intérieur d’une abominable pyramide sociale dont nul ne veut plus entendre parler. Les clercs de l’époque – qui pourrait s’inscrire dans la troisième de Condorcet (1) – étaient-ils à ce point convaincus de la justesse de leur vision de la condition humaine, qu’ils aient voulu par leurs pyramides la transmettre envers et contre tout afin qu’il en soit tenu compte dans la recherche du meilleur équilibre social possible ? Aurions-nous oublié leur avertissement, séduit par le mirage du progrès matériel et encouragés par d’autres clercs ayant véhiculé, véhiculant et multipliant depuis, d’autres croyances, assez rassurantes pour être préférées à une vérité aussi profonde que naturelle, que nous préférons ignorer à la manière des autruches ? Il est en tout cas intéressant, pour approfondir ces questions, de s’interroger d’une part sur les raisons pour lesquelles le panthéisme, porté par la Grèce antique à son apogée que fut l’olympe, s’est inséré entre le collège des Dieux de l’Égypte, associés à ses pyramides, et la religion monothéiste révélée d’Israël, avant que le Christianisme et l’Islam ne le cautionnent ; et d’autre part – d’un point de vue socio-politique–, sur l’évolution de l’idéal républicain, depuis sa naissance avec Périclès jusqu’aux avatars des démocraties, moderne dont l'histoire récente fournit bien des exemples. Il en ressort que l’homme a toujours été et demeure prisonnier, autant de ses angoisses que de sa crédulité. Et le fait que cette dernière semble s’éroder au contact de la science n’y change rien. Non seulement il a troqué au cours des millénaires de son évolution, ses croyances religieuses pour d’autres, sa spiritualité multipliant sectes et religions, mais il y a ajouté des idéologies le privant tout autant de son libre arbitre. Toujours est-il qu’il en résulte un fait essentiel : La quête de plus de justice sociale et le combat contre la pauvreté et les inégalités sociales, tels qu’ils sont dictés à l’homme par ce désir inné et la capacité d’améliorer sa condition qui le distinguent des autres espèces peuplant l'univers connu, sont privées d’une vérité incontournable. Or est-il possible de lutter efficacement contre qui ou quoi que ce soit, sans d’abord les connaître et les reconnaître ?


1— Cf. Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain – Troisième époque

samedi 16 juin 2018

Inéluctables et croissantes inégalités sociales

Article révisé le 03/022024

Contrairement à la pauvreté, qui a pour limite le niveau zéro de la richesse, au-dessous duquel règne l’exclusion sociale, la richesse n’en connaît pas d’autre que l’appétit de ceux qui la convoitent et les ressources dont ils la tirent, avec toutes conséquences sur un environnement commun et l’inexorable creusement des inégalités sociales, depuis que l’humanité existe.

Quelle que soit l’idée que chacun puisse se faire de la justice sociale, nul ne peut être indifférent au fait qu'après vingt siècles de civilisation, le nombre de pauvres profonds dans le monde soit devenu plusieurs fois ce qu’était la population humaine totale de la planète, toutes conditions confondues, quel que soit le nombre de ceux qui échappent de nos jours à la misère ; outre les effets d'un progrès scientifique et technique qui a considérablement changé les conditions d’existence de tous, partout dans le monde.

Mais se satisfaire de ce constat pour prétendre en changer les effets ne suffit pas. C’est ignorer d’une part l’aspiration de chacun à améliorer sa condition et d’autre part le fait que richesse et pauvreté existant l’une par l’autre, chacun est le riche ou le pauvre de plus pauvre ou de plus riche que lui. Là est ce qui rend les inégalités sociales inéluctables, tout en renvoyant aux termes de l’équation à résoudre pour les réduire autant que possible ; les termes de cette équation étant les suivants :

— Richesse collective de l’humanité, entendue comme la somme des richesses naturelles et résultant de l’ensemble des activités et autres apports de tous les membres de la société. À noter le qualificatif naturelles, qui souligne le fait que la richesse de la collectivité n’est pas le fruit de la seule industrie de ses membres, mais inclut ceux de la prédation irréversible qu’ils exercent sur leur environnement commun.
— Population humaine concernée, dans son intégralité, par le partage de cette richesse collective.
— Activités nécessaires à la satisfaction des besoins de l’ensemble de la population ; « Tout être humain [étant] avant toute autre activité ou toute autre opinion un consommateur » (Gaston Bouthoul in Traité de sociologie, tome II, p. 180 – Payot 1968.), la condition sociale de l’être humain est le fruit de la relation existant entre ses besoins – vitaux et superflus, puisqu’à la différence des autres animaux l’homme s’en invente – et les innombrables activités notamment économiques, contribuant à l’accroissement incessant de la richesse collective.
— Caractère incontournablement pyramidal de toute structure sociale fondée sur l'interdépendance hiérarchisée de ses membres comme l’est la société humaine,

Plus les être humains sont nombreux, – ce qui est le cas depuis qu’ils existent –, plus l’économie est prospère et plus s’accroît l’enrichissement collectif, les plus riches étant par définition les premiers servis. C’est ainsi que s’est développée jusqu’à la démesure l'indissociable binôme économie/population – celle-ci conditionnant celle-là et non l'inverse – ainsi que le volume de la pyramide sociale en représentant le peuplement, entraînant l’éloignement incessant de son sommet par rapport à sa base, le creusement des inégalités entre riches et pauvres augmentant d’autant, quelle que soit la vision aussi partiale que romantique qu’a proposé Marx de l’opposition entre riches et prolétaires ; vision à laquelle se réfèrent depuis, avec davantage d’obstination que de discernement, autant les partisans du capitalisme que ceux d'une archaïque lutte des classes.













Avec l’augmentation prévue de la population mondiale (cf. projections de l’ONU), les inégalités sociales ne pourront que se creuser encore – dans leur intemporelle relativité –, du simple fait de l'augmentation de la population mondiale, compliqué de sa globalisation.

La pauvreté étant infiniment plus facile à partager que la richesse, les flux migratoires qui se sont maintenant solidement établis, sont irréversibles et ne feront que gonfler, les nations ne pouvant indéfiniment rester indifférentes au sort de populations pléthoriques fuyant les désordres et violences de natures politique, religieuse, ethnique, économique, climatique, etc. qui s’amplifient et se multiplient partout dans le monde. Tous les pays sont concernés, les politiques et les digues les plus protectionnistes étant vouées à céder sous la force de la déferlante démographique à attendre spécialement d’Afrique, continent dont la population miséreuse est appelée à doubler avant la fin du présent siècle.

Et s’il est encore possible de limiter les inégalités sociales et d’en compenser les effets, autrement que par des moyens comme la redistribution par l’impôt notamment, sachant qu’il s’agit là de palliatifs toujours insuffisants et qui ne changent rien aux causes fondamentales de ce qu’ils combattent, nous devons être conscients du fait que l'origine de tous les maux dont souffre l'humanité est avant tout d'ordre démographique.

L’effectif de l’humanité n’a jamais été régulé au-delà de ce qu’ont pu provoquer les guerres et les épidémies petites et grandes, contrairement à ce qu’il en a été pour d’autres espèces peuplant la planète, placées sous le régime de la sélection naturelle, parfois avec l’aide de l’homme qui aurait été avisé de penser à lui-même. Mais rares sont les leaders politiques qui ont le courage d’aborder cette question, et inexistants les responsables religieux à qui le dogme interdit d’en traiter, les uns et les autres étant au demeurant plus soucieux du nombre de leurs fidèles et électeurs que de leur bien-être.

Sans compter la réponse qu’attendent dorénavant un environnement saccagé et pillé ; une biosphère vouée à un déséquilibre compromettant la survie de toutes les espèces, et des ressources en voie d’épuisement, une population moins nombreuse aurait pour effet la réduction de ses besoins et par conséquent celle de sa production et de son enrichissement. C’est seulement sur ces bases que pourrait être obtenu le rapprochement de la base et du sommet de la pyramide sociale, exprimant une réduction des écarts de richesse, donc des inégalités sociales, et que l’effet de celles-ci pourrait être corrigé, dans les conditions d’une meilleure gouvernance à tous les niveaux de la société.

Certains prônent la frugalité pour tous dans une société dont la démographie est abandonnée à une hypothétique transition par laquelle la population mondiale décroîtrait d’elle-même après être passée par un maximum au cours du siècle prochain. Mais il y a lieu de tenir compte de l’aspiration de l’homme à améliorer sa condition et celle de ses enfants, espérant en cela dans le progrès et visant les conditions de vie des mieux lotis que lui-même et non celles des plus pauvres. À quoi servirait l’effort de frugalité d’une population croîssant sans cesse ?

Les inégalités sociales sont avant tout liées à notre démographie et leur réduction passe par une dénatalité qui s’impose au monde, massivement et d’urgence, pour bien d’autres raisons mettant en cause la survie de l’espèce humaine. Ceci requiert en premier lieu une prise de conscience générale, ce qui est loin d’être le cas, et un effort d’éducation sans précédent bien qu'insuffisant, partout où règnent les taux de natalité les plus élevés. Faute de cela, nous serons 9 milliards dans 25 ans et plus de 11 au début du prochain siècle, avec les déséquilibres sociaux dont chacun peut imaginer les conséquences désastreuses, au détriment premier des plus défavorisés.