lundi 25 août 2014

La pyramide sociale inversée ou le triomphe de la pauvreté

Lorsqu'ils ne réfutent pas la structure pyramidale de la société, il en est qui prétendent la renverser sur son sommet pour atteindre cet idéal d'égalité qui reposerait sur la disparition des riches. Fantasme des partisans d'un égalitarisme exigeant la mort des nantis, la base de la pyramide sociale doit ainsi écraser la société sous son poids, jusqu'à obtenir un nivellement généralisé, évacuant la richesse dans le triomphe des pauvres. Que ce triomphe, allant à contre courant du progrès, risque être celui de la pauvreté davantage que des pauvres, conduisant à la misère pour tous avant de sombrer dans l'inexistence sociale et la barbarie, n'est qu'un détail qu'il suffira de régler le moment venu. Quoi qu'il en soit, la pyramide inversée a ceci de remarquable qu'elle n'est plus une pyramide et tient davantage de l'entonnoir que de ce volume géométrique, universellement reconnu comme représentatif de toute organisation hiérarchisée et faite d'interdépendance entre ses membres.

L'inversion de la pyramide sociale n'est que sa déformation, par l'illusion d'une idéologie sommaire prétendant hisser à un sommet qui n'en est plus un et qui est même son contraire, la masse des individus en constituant la base ; négation extrême de ces individus en tant que tels, au profit d'une puissance faite du nombre. C'est aussi oublier un peu facilement que si tous nous profitons – aussi inégalement que ce soit – de siècles de progrès, celui-ci résulte des impulsions d'une élite dirigeant la masse, pour le meilleur et pour le pire, ce qui en fait précisément l'élite. Qu'une partie de cette élite puisse usurper sa position dominante ou en abuser, qu'il arrive à certains de ses représentants d'opérer dans l'imposture et l'incompétence, est une toute autre affaire qui ne dément pas davantage l'organisation pyramidale de la société que la valeur représentative du volume qu'est la pyramide. La preuve en est largement administrée de nos jours par l'élite intellectuelle.

La pyramide sociale inversée ne fait qu'exprimer une volonté de soumission de la raison à la force, de l'intelligence à l'instinct, de la civilisation à la barbarie, sachant au demeurant que les révolutionnaires les plus radicaux, les pires anarchistes, sont eux-mêmes structurés pyramidalement, avec leurs chefs (instigateurs, fomentateurs et meneurs en constituant l'élite) – le premier d'entre eux siégeant au sommet –, puis leurs cadres et leurs exécutants aux niveaux intermédiaires, même quand il arrive que les uns et les autres participent également à l'action.

Le renversement de la pyramide sociale est un geste dicté par l'angoisse existentielle et la conception morbide d'un désespoir tournant le dos à la réalité plutôt que de l'affronter. Hors du temps et de la raison, il préfigure cette désincarnation à laquelle nous aboutissons tous ; ce néant où la politique pas davantage que l'économie, la sociologie ou la démographie, l'ordre que l'anarchie ou que la pire des idéologies, n'ont plus leur mot à dire.

Que les chemins du progrès et de son partage soient semés d'embûches et que les pouvoirs, notamment religieux, politique et intellectuel en soient comptables, rien ne paraît plus vrai ni plus légitime, mais n'est-il pas d'attitude plus sensée que celle qui consiste à vouloir mettre fin, à n'importe quel prix, à une évolution conduisant, en dépit de ses lenteurs et de ses ratées, au mieux être souhaité par le plus grand nombre ?

La pyramide sociale ayant au moins le mérite d'être une représentation réaliste et suffisamment compréhensible, y compris par ceux qui la contestent, l'impossibilité absolue de la détruire peut les conduire à envisager son utopique retournement. Mais à quoi d'autre celui-ci pourrait-il conduire, qu'à édifier une autre pyramide ? Les exemples de l'aboutissement d'une telle utopie sont aussi nombreux que les échecs par lesquels se sont traduites les tentatives d'instauration du pouvoir de la base : depuis les innombrables jacqueries qu'a connu de tous temps le monde jusqu'à la révolution bolchevique et à l'effondrement du bloc soviéto-communiste, du fiasco de Cuba à l’évolution du communisme en Chine, en passant par l'Albanie, la RDA et bien d'autres pays, sans oublier le point d'orgue en la matière que fut le Cambodge de Pol-Pot et de ses Khmers rouges.

Il faut se souvenir que 12 ans après cette tentative de renversement de la pyramide sociale que fut sa Révolution qu’elle voulait universelle, la France avait un empereur, puis a connu d’autres monarchies et de nouvelles républiques, dont l’actuelle, qui ne satisfait pas davantage le citoyen que les précédentes, en attendant la suivante. Démonstration s’il en est que la révolte n’apporte de changement qu’en haut de la pyramide sociale, là où se joue une partie de chaises musicales, un pouvoir remplaçant l’autre. Mouvante mais impérissable, la structure de la société demeure la même et la masse qu’elle organise et qui croît sans cesse en nombre, ne fait que changer de maîtres ou de s’en donne l’illusion, avec l'aide de sciences et de techniques seules porteuses d'avancées sociales dont les révolutionnaires usurpent le mérite.

Une révolution chasse l’autre, et aucune n’a jamais rien durablement changé à l’ordre des choses.
D'ailleurs, qui de nos jours peut sérieusement imaginer qu'au lendemain de l'aboutissement de la lutte finale, le grand partage ayant eu lieu, la terre ne sera pas peuplée de ceux qui sauront faire fructifier leur part et de ceux pour qui elle sera toujours insuffisante ? Sauf bien entendu régime dictatorial – avec lui aussi un sommet dominant sa base – encore plus insupportable à l'homme que les pires inégalités.

En fait, la pyramide sociale inversée n'est pas davantage une pyramide que la représentation d'une société, ni même d'un projet de société. Elle est tout au plus une utopie sortie d'esprits rongés par la frustration, au point de s'imaginer qu'il suffit de modifier la représentation d'un état de fait pour modifier ce dernier, à la manière de ceux qui suppriment leurs opposants, brûlent les écrits de ceux qui les contredisent ou mettent simplement en cause leurs certitudes ; ou s'imaginent éradiquer ce qu'ils considèrent comme des maux en soustrayant des dictionnaires et des constitutions les mots (avec ou sans jeu de maux) qui les désignent.

C'est à confondre égalité devant la loi avec égalité de revenu que nous oublions que richesse et pauvreté, toujours relatives et existant l'une par l'autre, structurent la société et que les capacités faites de courage, de talent, d'ambition, de chance, de désir d'innover et d'entreprendre, de goût du risque, etc. sont des différences fondamentales de l'un à l'autre d'entre nous, qui se compliquent avec le nombre.





11 commentaires:

  1. Anonyme8/26/2014

    Je suis tout à fait en accord avec votre article. La société ne peut être que pyramidale et l'utopie d'inverser la pyralmide n'a conduit qu'à des horreurs. Vous citez les Kmers Rouges et j'ai connu une jeune survivante qui a vu son père fusillé car il était instituteur, d'autres simplement parce qu'il portait des lunettes(donc intellos), enfant elle a été conduite en camp de rééducation où les chirurgiens étaient des paysans car le savoir des études étaient suspect, elle y a vu ainsi mourir ses 5 frères et soeurs parce qu'il fallait inverser la pyramide des savoirs et des diplômes. Plus près de nous, le gouvernement a aboli la bourse au mérite car sans doute, le mérite est inégalitaire. Nous sommes dans une idéologie de l'abolition de la différence, de l'utopie du partage, de la suspicion de toute sélection et de la victimisation de tout délinquant. De ce point de vue, comment notre société pourrait-elle prôner le contrôle de la démographie puisque tout individu est un Mozart en puissance! ce sont là les limites d'une démocratie non éclairée qui risque de nous conduire à des lendemains qui déchantent!

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    1. Anonyme8/27/2014

      Merci pour ce commentaire qui souligne les risques extrêmes que fait courir à la société une compassion dévoyée associée à une croissance démographique insensée.
      Merci aussi pour un témoignage qui devrait inciter les visiteurs du blog à apporter leur contribution ou pour le moins à réagir, eu égard à la gravité du sujet, plutôt que de se murer dans un mutisme dont j'évoque ailleurs l'étrangeté, pour ne pas parler de caractère suspect.

      Claudec

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  2. Anonyme5/03/2019

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  5. Merci de vos encouragements. Avec l'espoir de recevoir à nouveau votre visite et peut-être vos contributions, que je serais heureux de publier dans le mesure où elles seraient en rapport avec l'objet de mon blog.
    Cordialement

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