Du bien et du mal à la démographie
« Les fortes émotions naissent de situations fortes : voilà pourquoi, dans les arts, la représentation du bonheur ennuie à la longue, voilà pourquoi on lui préfère la fatigue qu'excite le spectacle d'une grande infortune. » Antoine-Vincent Arnault
« L’homme est plus sensible au mal qu’au bien parce que le bien ne fait pas de bruit et n’est pas spectaculaire. » Jean Delumeau
« Le monde n'a peut-être été créé que pour réaliser le mal. Si, au lieu de contrarier le mouvement, nous le suivions, on obtiendrait un bon résultat. » Jules Renard
« Le mal, d'abord, apparaît toujours en Lucifer, pour ensuite se métamorphoser en Diabolus, et finir en Satanas. » Ersnt Jünger
« Dieu est beaucoup plus impie qu'il n'est saint, puisque le nombre des crimes qu'il opère, surpasse sans comparaison celui des bonnes œuvres qu'il produit. » Le jansénisme dévoilé.
Le bien et le mal sont des inventions de l’homme, en cela qu'il s'agit de notions découlant de la vie en société organisée telle qu'il y a été conduit par la conscience qu'il a de lui-même. Mais les autres espèces démontrent que ces notions ne leur sont pas inconnues, par leur comportement et leurs réactions lorsque tel ou tel de leurs membres enfreint leurs règles de vie, aussi primitives soient-elles.
Outre le fait que tout finit par se corrompre, le naturel serait-il à l'artificiel, l'inné serait-il à l'acquis, ce que le mal est au bien ? Où est-ce le contraire ?
Le bien étant entendu comme ce qui concourt à la paix et à l’épanouissement harmonieux de l’individu et du groupe, le mal est ce qui les contrarie. Selon l’universelle dialectique, l’un se définit par l’autre, s’y oppose et n’existe que par cette opposition. Comme Dieu et le Diable, pouvant être présumés par la sagesse, auteurs conjoints de l’univers, le Bien et le Mal sont antagonistes et néanmoins inséparables l'un de l'autre. Pour vivre dans un minimum de tolérance réciproque, l ’homme en a fait ses références au point qu’ils occupent cet univers à la manière dont un gaz ou un liquide occupent les moindres replis et recoins de leur contenant. Mais l'homme va jusqu'à s’y identifier, capable d'être et de faire l'un comme l’autre.
Indissociables, les notions de bien et de mal sont étroitement liées aux religions, dont elles ont été le fondement et demeurent la justification. Pour qui spécule sur l’âme et l’éternité, le mal est le sens même de la vie ici-bas, qui s’y accomplit comme une pénitence, depuis la naissance jusqu’à la mort, même si cette naissance est paradoxalement un bien, en ce sens qu’elle est le début de toute chose, avec sa charge d’espérance et de promesses de futurs pleins de félicités, tenues ou non. A l’opposé, l’aboutissement de toute vie qu’est la mort, ce basculement dans l’au-delà, est néant pour les uns, alors qu’il est pour d'autres l'instant où seront dispensées les suprêmes récompenses et punitions tenant compte du comportement de chacun face à un bien et à un mal temporels ; instant de Vérité pour tous.
En attendant cette échéance de vérité à laquelle nul n'échappe, le bien comme le mal doivent être considérés comme des notions d’ordre strictement terrestre, en cela qu’elles régissent la vie quotidienne et les rapports que les individus entretiennent, de leur vivant, entre eux et avec leur environnement, selon les règles qu’ils se sont en grande partie eux-mêmes fixées. N’est-il pas dès lors légitime d’observer et de chercher à comprendre la rapport existant objectivement entre ce bien et ce mal ?
De ce point de vue, l’une des questions se posant en premier lieu peut être de savoir s’il existe une prédominance de l’un sur l’autre. « Le mal se nourrit autant du bien que de lui-même, mais ne produit que le mal ». Aussi désabusée et réductrice qu'elle soit, cette opinion est assez inquiétante pour suggérer au moins une question : S'il en est ainsi, le bien, qui peut à coup sûr se nourrir du mal, ne produit-il que du bien ? C'est précisément la vocation du mal que de l'empêcher, et il existe d'innombrables démonstrations selon lesquelles les meilleures intentions peuvent aboutir à leur contraire, déviées et perverties, alors que le mal prospère envers et contre tout.
Si le mal est comme le prolongement naturel de lui-même ; s’il est son propre support, à la manière d’un arbre vigoureux aux rejets toujours plus abondants et vivaces, ou comme un cancer aux proliférations aussi spontanées qu’incontrôlables, il est loin d’en être de même pour le bien, si souvent comparé au contraire à cette braise couvant sous la cendre et qu'un souffle doit sans cesse attiser pour qu'en jaillisse une flamme au demeurant d'ardeur variable. Contrairement au mal, le bien ne s'instaure ou ne s'installe pas spontanément, sinon pour céder en fin de compte au mal, à la manière de tout élément dont la disparition est programmée dans la corruption et la déliquescence. Quand le bien par contre, cherche à se développer, à se faire entendre, il se heurte aussitôt à la concurrence d'un mal omniprésent. Il en est comme s'il y avait déperdition, usure du bien ; réduction de son domaine sous l'effet de la progression ou de la simple résistance du mal. Les deux tendances se partageant l'espace dans lequel elles se manifestent, chacune essaie d’y agrandir son domaine au détriment de l'autre. Or, non seulement le mal triomphe à ce jeu mais il le fait avec un succès chaque jour plus affirmé, à en juger par les maux d'une humanité vieillissante, allant s'amplifiant et se multipliant. Le mal touchant tout et tous. Il faut de plus compter avec l'accoutumance, la fatigue, l"usure et les erreurs de ceux qui le combattent ou le subissent, comme avec la perversion de ceux qui le pratiquent et l’encouragent.
Peut-être par réaction contre les assauts de ceux qui prétendent lutter contre lui, le mal est-il animé non seulement d'une résistance mais d'une dynamique qui assure son succès final, à la manière d’un virus apprenant à résister aux remèdes les plus efficaces. Il y a indéniable progression du mal ; il est porteur de son propre développement. Même lorsque le bien semble triompher, ce triomphe est toujours de durée limitée alors que le mal s’installe à la manière d’un chancre dont les traitements les plus énergiques ne peuvent venir à bout. L'éradication absolue et définitive du mal est inconnue et semble impossible, comme en témoigne l'histoire des hommes. Et lorsque ses effets sont combattus avec un semblant de succès dans un domaine, il réapparaît dans un autre et dans tous les cas ne s'efface jamais complètement. Il en est comme d'une eau pure qu'une seule goutte d'encre suffit à troubler, alors que toute l'eau du monde ne pourra jamais parvenir à s'exonérer de la trace d'une seule goutte d'encre ; ou de l’obscurité, qui a le pouvoir de recouvrir uniformément toute chose, alors que la lumière la plus éclatante ne peut par contre s’affranchir des zones d’ombre qu'elle génère elle-même. Il ne peut y avoir, dans un un univers peuplé d'êtres et d'objets, de lumière sans ombres, alors qu'il y peut y régner une obscurité totale. Autre analogie avec la mort comparée à la vie : La mort finit par recouvrir toute chose (définitivement pour qui n’a pas la foi), alors que la vie a pour premières évidence son propre caractère, fragmentaire et éphémère.
Propos pessimiste s'il en est, mais résultant de la simple observation et non de l'intuition ; des faits que de l’hypothèse. Est-ce faire preuve de l’esprit du mal ou du bien que de raisonner sur de telles bases pour tenter d'évaluer les chances qu'a l'humanité de connaître un jour le bonheur qu'elle ne cesse de se promettre à elle-même par éradication du mal qui la ronge ? Le constat d'agissements sans cesse contraires à de telles intentions relève en tout cas de la plus élémentaire lucidité, qui précisément ne relève ni du bien ni du mal.
À défaut d'une victoire bien hypothétique du bien sur le mal, si ce dernier existe pour que le bien en soit la réciprocité – ou inversement –, l'espérance d'un compromis fondé sur un équilibre tel qu'il pourrait ou devrait en résulter est-elle fondée ? Mis à part les bienfaits de progrès techniques et scientifiques indéniables, même s'ils se limitent à procurer un confort matériel abusivement vanté comme le bonheur – qui est au malheur ce que le bien est au mal –, il suffit de considérer l’histoire et la satisfaction des hommes quant à leur sort pour en déduire qu'ils semblent y avoir renoncé, en échange d'une illusion. Demeure pourtant, pour nombre d'entre eux, l'espoir en ce “Bien” reposant sous la cendre, à la manière d'une braise apparemment peu soucieuse que l'accumulation de cette cendre conduire à l'impossibilité définitive de sa propre réanimation.
L’homme, agissant envers lui-même à contre sens des lois dictées par la nature pour protéger toutes les espèces, s’affaiblit de génération en génération et paie ainsi spirituellement tous les progrès qu’il réalise sur un plan matériel, au point qu'il soit permis de se demander si ce matériel n'est pas une manifestation du mal, opposée au bien – Là encore le spirituel pouvant sembler être au matériel ce que le bien est au mal. La population des êtres humains s’accroît, grâce notamment aux progrès de la médecine, au détriment de la résistance de chacun de ses membres, et la santé de l’espèce à long terme en est largement compromise. Et il en est de même des espèces domestiquées, proportionnellement au temps depuis lequel elles l'ont été.
Quand les mécanismes qui en règlent naturellement l'existence ne jouent plus, les espèces qui sont demeurées les plus proches de la nature ne tardent pas à se réduire et sont condamnées à la disparition pure et simple. Par les qualités qu’ils démontrent et qui justifient leur domination sur le groupe, ce sont leurs membres dominants qui garantissent à celui-ci son maintien en bonne santé et le niveau de pérennité qui peut en résulter. L’homme, au contraire, investit une part importante de son énergie et de ses ressources dans la protection des membres les plus faibles de son groupe et cette importance va croissant ; chaque individu faible étant naturellement générateur d’autres individus faibles qui accroissent d’autant la charge des forts, dont le nombre décroît proportionnellement et décroîtra jusqu’à l’asphyxie ; jusqu’à ce que les forts soient eux-mêmes affaiblis par un effort dépassant leurs facultés. Exemple phare de la manière dont le mal submerge le bien : c’est au nom de la compassion, de la pitié, de la solidarité, de la générosité, de la charité, etc. – autant de sentiments réputés louables et associés au bien – que s’exerce cette résistance à la loi naturelle, alors que pour survivre et prospérer l'humanité doit impérativement se limiter en nombre, sauf à ce que l’homme admette et cultive l'autoprédation ; mal suprême.
Bonjour, Anonyme
RépondreSupprimerN'ayons pas peur des mots, ma vision n'est pas légèrement mais franchement alarmiste, s'opposant à un optimisme, à mon avis irresponsable. En quoi ?
- « La stabilisation future de la démographie n'est pas un mythe ... »
Je rappelle simplement que les prévisions les plus sérieusement établies (ONU et INED notamment) sont régulièrement revues à la hausse, au point que la population mondiale est à ce jour annoncée à hauteur de 11 à 13 milliards pour le début du prochain siècle. Je me réfère en tout état de cause, non pas à des prévision mais à des chiffres incontestables : croissance de 250 millions à 7 milliards en 20 siècles et un trend que rien ne permet de sensiblement modifier, sauf bien entendu catastrophe(s) dont l'ampleur et les conséquences ne pourront être que proportionnelles au chiffre atteint lorsqu'elles se produiront, et ce ci en dépit des promesse de transition démographique déçues autant qu'annoncées partout, depuis que la science démographique existe.
- « Nous n'exploitons pas encore à 100 % les ressources ... »
Bien entendu, puisque ces ressources sont , non seulement mal exploitées mais, pour ce qu'il en reste, inconnues.
Dans un univers fondé sur l'énergie, rien d'étonnant à ce que les réserves en soient inépuisables, sous de multiples formes ; mais l'énergie ne doit pas être notre seul sujet d'inquiétude. Les déchets et la pollution qui résultent de son utilisation ainsi que le nombre de ceux qui y ont recours me paraissent autrement plus inquiétants, dans un espace limité.
- « La démographie a son importance, certes, mais à l'échelle du Monde, je ne vois pas de quoi s'inquiéter à vrai dire. »
Toute prolifération ne peut que se heurter aux limites de l'espace où elle a lieu.
La mondialisation produit là aussi ses effets. Et pour ce qui concerne ce dont il faut s'inquiéter, il faut être bien aveugle pour ne pas voir que l'humanité est chaque jour un peu plus paralysée par le nombre. Si tous ses maux perdurent et s'amplifient partout dans la monde, si le chômage et la pauvreté augmentent et ne connaissent plus de frontières, si les inégalités sociales se creusent, si les revendications et les violences se multiplient, si le climat et l'environnement se dégradent chaque jour davantage, si les pires famines que nous ayons jamais connues s'annoncent, la raison première en est le flot ininterrompu des 250 000 êtres humains supplémentaires qui déferle sur la planète pour aggraver son pillage et ses conséquences.
(A suivre)
Claudec
(Suite)
RépondreSupprimer- « L'inventivité ne se quantifie pas, il suffit d'une poignée d'hommes éclairés pour trouver des [solutions mondiales à des problèmes mondiaux]. »
Hormis la contradiction que vous exprimez ainsi, je suis heureux de constater que sans voir ce dont il y a lieu de s'inquiéter, vous puissiez concevoir qu'il y ait des problèmes mondiaux.
Il a hélas plus d'une poignée d'hommes non éclairés qui eux aussi sont inventifs (cf relation entre le mal et le bien). D'ailleurs, qu'est-ce qu'un homme éclairé, toute vanité mise à part ?
Nous devons de plus être conscient que toute invention à sa contrepartie qui mène à somme nulle, à plus ou moins long terme.
- « C'est à une plus petite échelle que cela peut poser problème ... »
Vous devriez varier vos sources et vous informer par exemple sur la multiplication des bidonvilles. Pour info, l'humanité compte plus de 1 milliard et demi de pauvres profonds.
- « "Laisser le mal se faire" est un principe étrange non ? ... »
Extraire un propos de son contexte, comme n'en citer qu'une partie , ne relève-t-il pas davantage de la manip. que du débat honnête ?
- « ... nous n'avons pas besoin de sélection naturelle pour nous rendre plus fort ou plus intelligents ... »
La vanité et l'optimisme font toujours bon ménage.
« La vie d'un être humain n'a aucune signification ... »
Bien au contraire, la vie a une signification, celle que chacun d'entre nous contribue à lui donner, à partir d'un sort aveugle qui l'a fait naître dans une condition plutôt que dans une autre. Quand au but de la société et aux beauté de notre époque, je vous laisse l'entière responsabilité d'affirmations que je suis loin de partager.
Pour ce qui est de notre époque, que vous voyez plus pacifique que jamais, c'est faire bon compte de la centaine de millions de morts provoquée par les seules guerre de la deuxième moitié du siècle écoulé, des cent millions de victimes d'une idéologie parmi d'autres, des victimes des innombrables conflits d'aujourd'hui partout dans le monde, de la montée des intégrismes et des violences, etc.
Au contraire : « Chacun a le souvenir d'un monde qui était meilleur. Moins peuplé. Plus agréable. Où l'on se sentait plus libre. » (Alan Wiesman - Compte à rebours).
Cordialement
Claudec