lundi 6 mai 2019

Notre planète, qui va rétrécissant.


Vaut-il mieux le progrès et un bien-être inégal
pour 3 milliards d’humains,
dans le respect de leur environnement,
ou la stagnation dans une indigence égalitariste
et le saccage de la planète, par 11 milliards et plus ?
That's the question !

Extrait en français de “Our Shrinking Planet" de Livi Bacci Massimo (2017, Cambridge, UK, Medford, MA Polity Press, IX-160 p.), publié sous la signature de Jacques Véron dans Population 2018/4 (Vol. 73), pages 844 à 846; Mis en ligne sur Cairn.info le 03/05/2019

Après avoir fait l’objet de vifs débats, la question de la croissance démographique mondiale a eu tendance à être délaissée. Certes, le taux de croissance n’est plus supérieur à 2 % par an comme en 1965-1970, mais selon la variante moyenne des projections des Nations unies, la population mondiale s’accroîtrait de plus de 4 milliards d’ici la fin du siècle.

Dans son livre à succès The Population Bomb, paru en 1968, Paul R. Ehrlich accusait la population d’être en dernier ressort responsable de tous les maux de la planète. En 1972, le rapport de Barbara Wardet René rappelait que « nous n’avons qu’une terre » pour satisfaire nos besoins et qu’il fallait donc la ménager, tandis que le rapport Meadows mettait en avant « les limites à la croissance », économique comme démographique. En 1987, le rapport Brundtland insistait sur « notre avenir commun » et contribua à populariser le concept de développement durable. En 2014, l’intention affichée d’un livre dirigé par Ian Goldin était de savoir si la planète était « pleine ». Massimo Livi Bacci, quant à lui, s’intéresse à une planète qui « rétrécit ».

Il part du constat que notre planète est 1 000 fois plus petite qu’il y a 10 000 ans, lors de l’apparition de l’agriculture. Chaque être humain disposait alors, en moyenne, de 13 km2 de terre (soit un quart de l’île de Manhattan) alors qu’il doit aujourd’hui se contenter de l’équivalent d’un terrain de football pour se nourrir, se loger, se déplacer, etc. Par ailleurs, on voyage à une vitesse 1 000 fois supérieure à celle de l’expédition de Magellan-Elcano en 1519 (avec le premier tour du monde en un peu plus de 1 000 jours), et un habitant des pays les plus riches consomme 100 fois plus d’énergie qu’au temps de la naissance de l’agriculture. Enfin, le développement économique est particulièrement inégal : le revenu par tête du pays le plus riche est 400 fois supérieur à celui du pays le plus pauvre. Alors, comment croire à « la fin de la démographie », sous le seul prétexte que la croissance démographique mondiale s’est ralentie ?

L’équilibre millénaire entre instinct de survie et instinct reproductif s’est rompu. La biologie ne dicte plus les comportements démographiques. Des innovations ont permis davantage de choix, en matière de reproduction par exemple : la contraception permet de décider du nombre et de l’espacement des naissances. Alors pourquoi un équilibre se maintiendrait-il ? Au demeurant, la basse fécondité de certains pays d’Europe et d’Asie de l’Est joue en faveur d’une seconde transition démographique conduisant à un déséquilibre structurel entre natalité et mortalité et à un vieillissement démographique.

La pression démographique qui s’exerce sur la planète ne peut être considérée indépendamment des modes de vie. Dans un chapitre consacré à la terre, à l’eau et à l’air, Massimo Livi Bacci précise certains enjeux environnementaux liés à la croissance de la population. Aujourd’hui, 46 % des surfaces disponibles sont mobilisées pour nourrir la planète, alors qu’en 1700 il suffisait d’environ 8 %. Avec les terres absorbées par l’urbanisation, les activités économiques et les infrastructures de transports, c’est plus de 54 % de la surface totale des terres disponibles qui se trouvent « anthropisées ».

Le chapitre consacré à l’adaptation et à l’autorégulation conduit l’auteur à envisager la dynamique des populations en se référant au concept de système démographique. Existerait-il une « main invisible » garantissant un retour à l’équilibre lorsqu’il a été rompu ? Les crises démographiques du passé ont été suivies de phases de récupération, mais dans les systèmes démographiques contemporains, l’influence des facteurs naturels est moindre et la liberté de choix des individus plus importante. Par ailleurs, quelle est la signification démographique du principe de durabilité (ou de soutenabilité) ? Durabilité ne signifie ni invariance de la répartition de la population mondiale, ni homogénéisation progressive des comportements démographiques. Pour l’auteur, il ne saurait y avoir de développement durable sans accélération des investissements et transferts technologiques, et sans ralentissement de la croissance démographique.

Disparités démographiques et inégalités économiques sont des facteurs de mobilité des populations. Massimo Livi Bacci présente le défi du développement au regard des migrations internationales sous la forme d’une alternative radicale : soit les pays pauvres deviendront plus riches, soit les pauvres se rendront dans les pays riches. Si les États sont en droit de contrôler les migrations, ils ne le sont pas de fermer leurs frontières aux demandeurs d’asile. La montée de la xénophobie et du racisme comme la venue de migrants de cultures très différentes de celle des pays d’accueil font de la migration une question très sensible. Envisageant le système migratoire global, en lien avec une plus grande facilité des transports et un moindre coût, et avec une information mondialisée, il en vient à constater que la migration prend une place grandissante dans la stratégie socioéconomique des individus. Le système migratoire est global mais il évolue avec de nouveaux lieux de destination : l’Afrique du Sud par exemple. Puisqu’il existe une instance de gouvernance du commerce mondial, pourquoi n’y aurait-il pas une gouvernance des migrations internationales, se demande l’auteur. Il lui incomberait en particulier de veiller au respect des droits des migrants. Rappelons incidemment que le parlementaire français Albert Thomas, premier directeur du Bureau international du travail, tenta lors de la Conférence mondiale sur la population de Genève en 1927 de convaincre la communauté internationale de l’utilité d’une autorité supranationale pour réguler la population et diriger les flux migratoires. Pour l’auteur de The Shrinking Planet, c’est un paradoxe non soutenable et inacceptable que le monde ne puisse être véritablement « mobile ».

Comment évolue la durée de la vie humaine et quels sont les effets de cette évolution sur les sociétés ? L’âge au décès maximal (celui de la personne qui meurt la plus âgée chaque année) s’accroît. Si les progrès passés se poursuivent dans l’avenir, le record de Jeanne Calment de 122 ans pourrait être égalé à la fin du siècle. Existe-t-il une limite à la progression de l’espérance de vie ? Peut-on imaginer qu’on atteigne ou même dépasse à terme une espérance de vie de 100 ans ? Grâce à la lutte contre les maladies liées au grand âge, la survie de ces personnes s’est accrue. Mais les rendements peuvent être décroissants. Comment évoluera la durée de la vie ? Quels progrès attendre de la biologie ? Et qu’en est-il de la qualité de la vie aux grands âges ? Y-a-t-il « compression » (les individus souffriraient de handicaps surtout en toute fin de vie) ou « expansion » (avec un progrès médical permettant à des gens fragiles de survivre sans que leur état de santé soit bon) ? Et dans quelle mesure une importante augmentation de la durée de vie est-elle « soutenable » ? Pour y répondre, différentes dimensions doivent être prises en compte, en gardant à l’esprit qu’il existe des relations d’interdépendance entre variables relevant de différents champs (démographique, biologique, économique, politique, etc.). Sur un plan biologique, le constat peut être fait de maladies émergentes (Sars, Ebola, etc.). D’autres maladies sont liées au mode de vie, comme le tabagisme. L’accès à un système de santé universel et gratuit est un enjeu, d’autant plus que les progrès technologiques dans le domaine médical augmentent considérablement les coûts de la santé. Avec une espérance de vie de 80 ans et a fortiori de 100 ans, la part des plus de 60 ans est très élevée (respectivement plus de 30 % et près de 50 %) : qu’en serait-il de la répartition des activités économiques et des rôles sociaux ? S’il convient d’introduire un maximum de flexibilité, comme le souhaite l’auteur, dans quelle mesure est-ce vraiment possible ? Comment peuvent coexister « durablement » quatre, voire cinq générations dans des sociétés qui se renouvellent très lentement ?

En fin de volume, l’auteur en vient à critiquer le rôle joué par des institutions internationales qui se sont bureaucratisées et ont pu, comme l’ONU, adopter des objectifs de développement durable (ODD) déclinés en 169 objectifs et 302 indicateurs, faisant de la gouvernance mondiale une « science-fiction ». Et dans le même temps la planification familiale ou les migrations internationales sont négligées. Dans l’épilogue, l’auteur résume en sept points ce qui doit préoccuper les sociétés et les institutions internationales : la basse ou très basse fécondité dans certains pays, la persistance d’une fécondité élevée dans d’autres, le déséquilibre des sexes à la naissance dans certains pays d’Asie, le piège malthusien dans lequel se trouve encore une grande partie de l’humanité, les conséquences environnementales du développement économique et social indispensable pour que des populations nombreuses échappent au piège malthusien, l’ « anthropisation » du monde et la répartition en partie désordonnée des individus sur terre, enfin une migration internationale qui, en l’absence d’encadrement, n’est pas régulée et ne permet pas que les droits des migrants soient respectés.

Dans cet ouvrage de format relativement réduit mais très documenté, Massimo Livi Bacci invite à ne pas sous-estimer l’importance du « facteur démographique » lorsqu’il est question de développement et d’environnement, sans pour autant être tenté par le catastrophisme. Une position plus difficile à défendre qu’il n’y paraît : reconnaître la complexité des relations sans dissuader d’agir. Le développement se doit d’être durable mais aussi partagé. Et pour promouvoir un tel développement, les dynamiques démographiques doivent être prises au sérieux. C’est ce dont nous convainc Massimo Livi Bacci.

5 commentaires:

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