Les
inégalités sociales n’ont pas d’autre histoire que celle de la
relation économie-démographie. Et si nous ignorons cela, nous nous
interdisons :
—
de les maîtriser
—
d'éradiquer la pauvreté profonde
—
ne nous réconcilier avec notre environnement.
Richesse
et pauvreté en tout, existent l’une par l’autre et sont
relatives, comme elles l'ont toujours été. Par ailleurs, où que ce
soit et sous tous les régimes politiques, un pauvre ne peut enfanter
que des pauvres, comme un riche ne peut donner naissance qu’à des
riches ; quels que soient les aléas heureux ou malheureux de
l’existence de chacun par la suite, tels que les déterminent ses
talents, ses ambitions, sa volonté, ses efforts, sa chance ... et
les circonstances.
Les
hasards de sa naissance insèrent chacun dans la pyramide sociale
selon ses antécédents génétiques, sociaux et culturels, situation
que la lutte des classes n’a jamais ni nulle part changé d’un
iota, avec ou sans suppression de l’héritage. Une telle mesure ne
conduisant d'ailleurs qu’à accroître la richesse collective
autrement que par les voies habituelles que sont la confiscation pure
et simple ou l’impôt, sans modifier le caractère
incontournablement pyramidal de la richesse comme de la société,
qui refuse toute forme d’égalité.
N'est-il
pas par contre remarquable que nul expert en sciences humaines ait
jamais dénoncé le fait que si l’enrichissement individuel comme
collectif n’ont aucune limites autres que celles de l’ambition de
ceux qui le convoitent et les ressources dont ils sont tirés, LA
PAUVRETÉ A LA SIENNE, QUI EST LE NIVEAU ZÉRO DE LA RICHESSE ?
C’est
cette condition fondamentale qu’il faut vaincre ; non par des
combats primitifs qui en l’ignorant ne font que l’aggraver depuis
toujours, mais en “isolant” la pauvreté profonde de ce niveau
zéro de la richesse. L’instauration d’un revenu universel
minimum et inconditionnel, annulant l’effet d’inégalités
sociales qui ne peuvent et n’ont fait qu’augmenter depuis la nuit
des temps en suivant systématiquement l’évolution constante du
binôme démographie-économie (avec toutes conséquences sur la
croissance et partant sur l’environnement) pourrait par contre être
LA solution. Au contraire, la lutte des classes ne fait que ramener
l’être humain au statut de l’insecte qui se heurte obstinément
à la vitre dont il est prisonnier sans la voir, pour finir par ne
plus concevoir que le renversement illusoire de la pyramide sociale
pour mettre fin à des inégalités sociales fondamentalement
attachées à la condition humaine.
Faute
d'arguments crédibles, leurs espérances dans la lutte des classes
déçues, l'atteinte de cet idéal d’égalité qui reposerait sur
la disparition des riches leur apparaît comme l'ultime issue.
Fantasme des partisans d’un égalitarisme exigeant la mort des
nantis, la base de la pyramide sociale écraserait ainsi la société
sous son poids, jusqu’à obtenir un nivellement généralisé,
évacuant les riches dans le triomphe des pauvres. Que les uns
n’existent que par les autres et que ce triomphe, allant à contre-
courant du progrès, risque être celui de la pauvreté davantage que
des pauvres, conduisant à la misère pour tous avant de sombrer dans
l’inexistence sociale et la barbarie d’une fin de civilisation
qui ne s’annonce pas sous les meilleurs augures, n’est qu’un
détail qu’il suffirait de régler le moment venu.
Quoi
qu’il en soit, la pyramide inversée a ceci de remarquable qu’elle
n’est plus une pyramide et tient davantage de l’entonnoir que de
ce polyèdre universellement reconnu comme représentatif de toute
organisation hiérarchisée et faite d’interdépendance entre ses
occupants.
L’inversion
de la pyramide sociale n'est rien d'autre que sa déformation, par
l’illusion d’une idéologie sommaire prétendant hisser à un
sommet qui n’en est plus un, la masse des individus en constituant
la base ; négation extrême de ces individus en tant que tels, au
profit d’un pouvoir d'abord fondé sur le nombre. C’est aussi
oublier un peu facilement que si tous nous profitons – aussi
inégalement que ce soit – des millénaires de progrès
scientifique et technique, ce dernier résulte des impulsions d’une
élite, ce qui en fait précisément l’élite pour le meilleur et
pour le pire. Qu’une large partie de cette élite, soumise à ses
émotions telles que les suscite une compassion dévoyée ou plus
simplement ses propres intérêts, puisse usurper sa position ou en
abuser, et que certains de ses représentants opèrent dans
l’imposture et l’incompétence, est une toute autre affaire.
La
pyramide sociale inversée ne fait qu’exprimer une volonté de
soumission de la raison à la force, de l’intelligence à
l’instinct, de la civilisation à la barbarie, sachant au demeurant
que les révolutionnaires les plus radicaux et les pires anarchistes,
sont eux-mêmes structurés pyramidalement, avec leurs chefs, voire
leurs riches (instigateurs, fomentateurs et meneurs en tous genres) –
le premier d’entre eux siégeant au sommet –, puis leurs cadres
et leurs exécutants aux niveaux intermédiaires, que les uns et les
autres participent ou non à l’action.
Le
renversement de la pyramide est un geste dicté par l’angoisse
existentielle et la conception morbide d’un désespoir social
tournant le dos à la réalité plutôt que de l’affronter. Hors du
temps et de la raison, il préfigure cette désincarnation à
laquelle nous aboutissons tous ; ce néant où la politique pas
davantage que l’économie, la sociologie ou la démographie,
l’ordre que l’anarchie ou que la pire des idéologies, n’ont
plus leur place.
Que
les chemins du progrès et de son partage soient, ici et maintenant,
semés d’embûches et que les pouvoirs, notamment religieux,
politique, intellectuel, médiatiques, ... plus soucieux du nombre
que du bien-être de ceux sur lesquels ils se fondent en soient
comptables, rien ne paraît plus vrai ni plus légitime, mais
n’est-il pas d’attitude plus sensée que celle qui consiste à
vouloir mettre fin, à n’importe quel prix, à une évolution
conduisant, en dépit de ses lenteurs et de ses ratées, au mieux
être souhaité par le plus grand nombre ?
La
pyramide sociale ayant au moins le mérite d’être une
représentation réaliste et suffisamment compréhensible, y compris
par ceux qui la contestent, l’impossibilité absolue de la détruire
peut les conduire à envisager son utopique retournement. Mais à
quoi d’autre celui-ci pourrait-il conduire, qu’à en édifier une
autre ? Les exemples de l’aboutissement d’une telle utopie sont
aussi nombreux que les tentatives avortées d’instauration du
pouvoir absolu de la base (dictature du prolétariat) : depuis les
innombrables jacqueries qu’a connu de tous temps le monde jusqu'à
la révolution bolchevique et à l’effondrement du bloc soviétique
; du fiasco de Cuba à l’évolution du communisme en Chine, en
passant par bien d’autres pays, sans oublier le point d’orgue en
la matière que fut le Cambodge de Pol-Pot et de ses Khmers rouges.
Il
faut se souvenir que 12 ans après cette tentative de renversement de
la pyramide sociale que fut sa Révolution qu’elle voulait
universelle, la France avait un empereur, puis a connu d’autres
monarchies et de nouvelles républiques, dont l’actuelle, qui ne
satisfait pas davantage le citoyen que les précédentes ; en
attendant la suivante. Démonstration s’il en est que la révolte
n’apporte de changement que là où se joue une partie de chaises
musicales, un pouvoir remplaçant l’autre. Mouvante mais
impérissable, la structure de la société demeure la même et la
masse qu’elle organise et qui croît sans cesse en nombre et en
richesse, ne fait que changer de maîtres ou s’en donne l’illusion,
avec l’aide de sciences et de techniques seules réellement
porteuses de nos avancées sociales.
Une
révolution chasse l’autre et aucune n’a jamais rien durablement
changé à l’ordre fondamental des choses, pas plus qu'à la nature
humaine. D’ailleurs, qui peut sérieusement imaginer qu’au
lendemain de l’aboutissement de la lutte finale, le grand partage
ayant eu lieu, la terre ne serait pas peuplée de ceux qui sauraient
faire fructifier leur part et de ceux qui, dénués des talents
indispensables, en éprouveraient une frustration soigneusement
entretenue par ceux dont ils continueraient de constituer la clientèle, elle serait toujours insuffisante ? Sauf bien entendu collectivisme dictatorial,
avec lui aussi un sommet dominant sa base, encore plus insupportable
à l’homme que les pires inégalités.
En
fait, la pyramide sociale inversée n’est pas davantage une
pyramide que la représentation d’une société, ni même d’un
projet de société. Elle est tout au plus une utopie, sortie
d’esprits s’imaginant qu’il suffit de modifier la
représentation d’un état de fait pour le modifier, à la manière
de ceux qui suppriment leurs opposants, brûlent les écrits de ceux
qui les contredisent ou mettent simplement en cause leurs certitudes
; ou encore s’imaginent éradiquer ce qu’ils considèrent comme
des maux en soustrayant des dictionnaires et des constitutions les
mots qui les désignent.
C’est
son incommensurable vanité et la frustration qui conduisent l’homme
à nier sa condition et à négliger que richesse et pauvreté,
toujours relatives et existant l’une par l’autre, structurent la
société. Après les hasards de la naissance de chacun, ses
capacités faites de courage, de talent, d’ambition, de chance, de
désir d’innover et d’entreprendre, de goût du risque, etc. sont
des différences que le nombre suffit à rendre toujours plus
difficiles à compenser intelligemment et durablement.